Pour les amoureux de musique orientale qui va au-delà de la variété actuelle, j'ai découvert un petit bijou que j'aimerais vous conseiller. Le Jardin ottoman de Burhan Öçal, sorti en 1996. Il s'agit de musique classique ottomane, qui relève de ce qu'on appelle la musique savante musulmane.
C'est une musique très sobre, qui paraît étrangement dépouillée et en même temps très raffinée. On y retrouve toutes les composantes de la culture ottomane, les influences venues de tous les horizons que les Turcs ont traversé : des accents de musique arabe ou persane médiévale, une parenté avec les musiques d'Asie Centrale, et même avec la musique indienne, ce qui ne doit pas surprendre puisque les fameux Moghols étaient en partie d'origine turque... Et bien entendu on y mesure aussi l'influence exercée sur notre musique ancienne occidentale, médiévale méridionale et hispanique en particulier. La voix, superbe, ne s'accompagne que du tanbur ; intonations, timbres et modulation des notes sont variés et subtils. La beauté des sons de la langue turque ajoute à la magie.
Le tanbur est l'instrument classique turc ; autrefois utilisé dans tout le Moyen-Orient, il n'a survécu qu'en Turquie. Il se rapproche d'instruments encore en usage en Asie Centrale (Kazakstan, Uzbekistan, Tadjikistan) et de la tambura des Arabes. Au passage notons un fait linguistique qui n'est pas inutile dans un contexte comme celui d'aujourd'hui : vous remarquerez la parenté du mot avec notre "tambour", qui n'est pas anodine, puisque le mot (par contre, avec un contresens, semble-t-il) fut emprunté à l'arabe au XIe s. Comme quoi le prétendu "choc des cultures" est ridicule !
Un tanbur turc...
Bref, revenons au tanbur. C'est un luth à petite caisse ronde, avec un manche très étroit à ligatures ; le manche est très long, mesurant plus d'un mètre. Le tanbur a 8 cordes groupées par deux. Les ligatures sont constituées de cordes enroulées plusieurs fois autour du manche ; elles doivent être placées avec une grande précision. L'instrument est gratté avec un plectre, mais il peut aussi se jouer avec un archet.
Burhan Öçal, amoureux de l'art de son pays, est un virtuose dans la pratique de nombreux instruments et un percussionniste reconnu ; sur cette photo, les habitués auront reconnu qu'il joue du ûd, le luth arabe...
Un mot sur le musicien : Burhan Öçal est un des rares musiciens à renouer avec la tradition ottomane pure, du XVIe au XXe s. Le CD présente essentiellement des morceaux des XVIIIe et XIXe s. , dont une composition du sultan Selim III. Il est très attaché à la transmission de l'art de son pays. Il apporte au respect de la tradition une sensibilité propre, qui fait opérer le charme.
Cette musique peut paraître complexe, voir un peu difficile d'accès ; mais pas du tout. Un conseil : l'écouter dans de bonnes conditions, au calme, confortablement installé et l'esprit disposé à se laisser aller au gré de la musique. Bon, si vraiment vous y tenez, je vous décris la scène en ce qui me concerne : calé dans des coussins, fumant la chicha et mangeant des loukoum d'Istanbul... En tout cas, à découvrir ; c'est une musique aussi apaisante que les raga indiens...