Ukhtî Anne-Marie, notre amie française d'Hurghada, est la première à nous proposer un objet dans le Sûq Nefred ; ou plutôt, une paire d'objets. Merci à elle de partager avec nous ces objets qui ont un sens et une histoire.
Il s'agit de deux statuettes qui proviennent du Brésil. Pour Anne-Marie, ces statuettes en stéatite, qu'elle a emmenées avec elle en Egypte avec d'infinies précautions (cette pierre est extrêmement fragile, comme vous le savez), ont une signification particulière, car c'est sa Maman qui les lui a ramenées du Brésil.
Elles représentent deux personnages vêtus à l'orientale, dans un vêtement drapé à l'antique. Comme on peut le voir, une inscription latine, représentée sur un parchemin (phylactère) sur le côté de chacune d'entre elles, permet de les identifier. Il s'agit de deux prophètes de l'Ancien Testament (pour les chrétiens) ou du Tanakh (pour les juifs, ce qu'on appelle aussi la Bible hébraïque). Ces deux personnages sont des prophètes ayant vécu durant la captivité à Babylone, ce qui explique leur costume oriental caractéristique, en particulier le couvre-chef conique. Le parchemin qu'ils tiennent fait référence au livre de chacun d'entre eux, qui fait partie de la Bible.
Celle de gauche représente Daniel, comme l'indique l'inscription, mais aussi comme le montre le lion couché à ses pieds, selon l'iconographie traditionnelle. Il fait partie des quatre grands prophètes de la Bible et aurait rédigé le Livre de Daniel à la fin du VIe s. avant notre ère, pendant la captivité des Juifs à Babylone. Daniel est richement vêtu, car il est alors devenu le conseiller du roi de Babylone Nabuchodonosor II, suite à des prophéties. L'un des épisodes les plus célèbres de l'histoire de Daniel est celui dans lequel le roi Nabuchodonosor le fait jeter dans le fosse aux lions pour avoir refusé de renoncer à sa foi : or, les lions, au lieu de le dévorer, se couchèrent à ses pieds. C'est ce qui est représenté ici : Daniel a les bras ouverts, le regard baissé en signe de soumission à la volonté de Dieu, et le le lion, couché à ses pieds, lève la tête vers lui. Dans la tradition chrétienne ancienne, le thème de Daniel dans la fosse aux lions est repris comme un symbole de foi inébranlable et de la confiance en Dieu, mais aussi de la victoire sur la mort préfigurant le Christ ; c'est donc un thème qui est souvent représenté dans l'art paléochrétien. Sur le parchemin est écrit : « Enfermé sur ordre du roi dans la fosse aux lions, il en réchappa et fut sauvé avec l'aide de Dieu.»
Celle de droite représente Abdias, qui fait partie de ce qu'on appelle les « petits prophètes », 12 prophètes dont les Livres composent une partie de la Bible et qui sont considérés comme secondaires par rapport aux quatre grands prophètes ; le Livre d'Abdias consiste en un seul chapitre, dans lequel Abdias prédit la chute des habitants d'Edom et que des libérateurs monteront sur la montagne de Sion. Abdias aurait également vécu à l'époque de la captivité à Babylone, mais au tout début du VIe s. avant notre ère, soit avant Daniel. C'est ce qui explique le geste que fait la statuette, le doigt dressé vers le ciel pour indiquer que sa prophétie lui vient de Dieu ; contrairement, à l'attitude humble de Daniel, il a la tête droite, le regard assuré, presque menaçant. Il est intéressant de voir comment cet épisode est rendu. Le thème d'Abdias est plus rare dans l'iconographie traditionnelle ; il figure simplement parmi les prophètes qui sont souvent représentés sur les façades sculptées des cathédrales médiévales. Sur le parchemin, l'inscription dit : « Je vous accuse, ô Iduméens et gentils, je vous annonce et vous prédis les larmes et la destruction. »
Il s'agit en fait de reproductions d'oeuvres célèbres d'un architecte et sculpteur brésilien qui est considéré comme l'un des plus grands de ce pays pour la période coloniale : Antonio Francisco Lisboa, dit Aleijadinho (1730-1814), l'un des maîtres du baroque brésilien. Il était le fils d'un architecte et d'une esclave noire. Atteint d'une grave maladie qui le laissa infirme, il n'en continua pas moins à travailler pratiquement jusqu'à sa mort, les ciseaux et maillet étant attachés à ses poignets pour lui permettre de sculpter ; son surnom, « Aleijadinho », signifie d'ailleurs « petit infirme » en portugais. Les figures de Daniel et Abdias font partie d'un ensemble de 12 prophètes, représentés grandeur nature, qui ornent la terrasse de l'église du Bom Jesus de Matosinhos, à Congonhas do Campo (Etat de Minas Gerais) ; cet édifice, considéré comme une de ses oeuvres majeures, est classé au Patrimoine Mondial de l'UNESCO.
Les originaux sur la terrasse de l'église brésilienne : vous les reconnaissez, ce sont bien eux, jusque dans les détails.
Nous voyons, une fois de plus, comment un objet peut nous faire voyager et nous ouvrir des portes insoupçonnées, au-delà du lien que nous avons avec eux. Merci encore à Anne-Marie !
Courage aux autres : trouvez un objet qui vous tient à coeur, qui a une histoire ou pour lequel vous avez une affection particulière et nous le ferons entrer dans notre Sûq. Vous pouvez me faire parvenir vos photos et quelques infos par cette adresse mail : Neferkheperou@hotmail.com ...
Le site d'Anne-Marie :
http://www.mes-parfums-d-egypte.com/