L'un des aspects les plus surprenants de la musique baroque est sans doute la grande vogue des castrats que connurent le XVIIe et surtout le XVIIIe s. Certains d'entre eux, comme le fameux Farinelli, connu du grand public d'aujourd'hui par le film qui lui a été consacré, furent de véritables vedettes, chacune de leurs apparitions provoquant pratiquement des émeutes. Loin d'être considérée comme une voix efféminée, la voix de castrat était réservée dans l'opéra baroque aux héros, ce qui peut nous surprendre aujourd'hui. L'opéra italien a exalté les castrats, le goût français a pour sa part préféré les haute-contre.
Aujourd'hui, les castrats ont disparu, cette pratique somme toute barbare n'étant plus acceptable, même au nom de l'art. Mais certains hommes ont naturellement des voix qui se rapprochent de ce que devait être la voix d'un castrat d'autrefois : les plus proches sont les sopranistes, qui ont naturellement une voix aux capacités étendues dans les aigus ; viennent ensuite les hautre-contre et contre-ténors. Voici un lien très intéressant sur les haute-contre dans la tradition française, qui explique les différences, pas faciles à saisir, entre toutes ces tessitures : haute-contre. Avec la redécouverte de l'opéra baroque, ces voix réapparaissent et ne sont en général plus remplacées par des voix féminines.
L'album "Le Temps des Castrats", paru en 1994 chez EMI Classics, permet de découvrir ce monde extraordinaire, avec des chanteurs parmi les plus célèbres : James Bowman, René Jacobs, Alfred Deller, Charles Brett, Derek Lee Ragin, Jochen Kowalski ou l'étonnant sopraniste Aris Christofellis.
La part belle est faite à Haendel, avec des airs de Xerxès ("Ombra mai fu"), Giulio Cesare ("Upstart, barbarian and traitor", magistral par James Bowman), Le Choix d'Hercule ("Lead goddess, lead the way", d'un grand raffinement, magnifiquement interprété par Alain Zaeppfel), Saül ("O Lord, whose mercies numberless"), Admeto ("La tigre arde di sdegno", un grand moment avec René Jacobs) et Le Messie ("He was despised", interprété par Alfred Deller).
De Purcell, un air extrait de The Fairy Queen ("Hark, how all things", étonnant, par Alfred Deller) et un autre de l'Ode à la Reine Mary ("Sweetness of nature", un duo magnifique entre Charkes Brett et James Bowman).
Pour la musique religieuse, dans laquelle les castrats intervenaient beaucoup, c'est Bach qui a été retenu avec la Messe en si mineur ("Agnus Dei", remarquable, par Charles Brett) et l'Oratorio de Noël ("Schliesse, mein Herze").
De Hasse, deux extraits de Cleofide ("Se trova perdono" et "Dov'e ? si affretti", un véritable régal italien, le premier interprété par Dominique Visse, le second par Derek Lee Ragin avec une maîtrise technique plus que troublante).
Egalement Caldara ("Soffri, mio caro Alcino", absolument superbe, par Gérard Lesne), Gluck (Orfeo et Euridice : "Che faro senza Euridice") et Mozart (Mitridate : "Va, va, l'error mio palesa"). Et en final, un enregistrement datant de 1902 de l'un des derniers castrats de la Chapelle Sixtine, Alessandro Moreschi, qui interprète le "Crucifixus" de la Petite Messe Solennelle de Rossini et nous donne, bien qu'il sorte du cadre baroque et soit bien loin des virtuoses du XVIIIe s., une idée de ce que devait être la voix troublante des castrats.
Mais l'un de mes morceaux préférés sur cet album reste sans conteste le "Solfeggio" composé par Porpora pour Farinelli et divinement interprété par Aris Christofellis ; on en a des frissons, et on y mesure tout ce que devait être l'art de Farinelli.
Farinelli, le vrai...